Faut-il encore parler du syndrome d’Asperger ? Comprendre l’histoire de Hans Asperger et ses zones d’ombre

Quelle sorte d'autisme a décrit Hans Asperger ? A-t-il véritablement collaboré avec le régime nazi ? Comment le syndrome d'Asperger a-t-il évolué dans les classifications ? Quel impact sur l'identité des personnes concernées ? Nous allons aborder toutes ces questions dans cet article !
Le syndrome d’Asperger n’existe plus dans les classifications. Il a été effacé au profit de l’appellation « Troubles du spectre de l’autisme » (TSA), mais reste néanmoins très usité dans le langage courant pour désigner une forme d’autisme sans retard de langage ni déficience intellectuelle. 

De nombreuses figures médiatiques ont révélé publiquement leur syndrome d’Asperger. C’est le cas de Dan Aykroyd, Anthony Hopkins ou Susan Boyle, qui ont contribué à le faire connaître. Fun fact : l’activiste pour le climat Greta Thunberg a suscité à elle seule une augmentation drastique de recherches Google sur la requête « Syndrome d’Asperger » lors du sommet sur le climat de 2019 ! Elle s’est exprimée à plusieurs reprises dans les médias à ce sujet. Elle a expliqué que le diagnostic d’autisme lui avait permis d’obtenir le soutien dont elle avait besoin et de mieux comprendre son fonctionnement. Greta Thunberg a décrit son autisme comme un « super-pouvoir » qui lui permet de mener à bien sa lutte pour la justice climatique. 

Les origines de l'autisme : Hans Asperger et le nazisme

Hans Asperger décrit, dès 1944, quatre cas parmi deux cents enfants qu’il a étudiés. Contrairement aux enfants présentés par Kanner (j'ai également écrit un article sur l'autisme de Kanner), ces profils sont homogènes et ne présentent ni retard de langage ni déficit cognitif. À l’époque, ses travaux ne connaissent pas le même retentissement que ceux de Kanner car Asperger vit en Autriche, annexée par l’Allemagne nazie. 

Il faudra attendre le début des années 1980 pour que le syndrome d’Asperger soit reconnu par la communauté scientifique. C’est Lorna Wing, une psychiatre britannique, qui réhabilite les travaux de Hans Asperger en y adjoignant trente-quatre nouveaux cas. C’est aussi elle qui nomme cette entité clinique « syndrome d’Asperger ». 

Alors que Hans Asperger était considéré comme un résistant, on a depuis eu connaissance de nouvelles informations au sujet de son positionnement politique. En se basant sur de nombreuses sources, l’historienne Edith Sheffer a reconstruit précisément la trajectoire de Hans Asperger et la façon dont il a collaboré avec le régime nazi. Il s’avère que le psychiatre différenciait :

  • les enfants qu’il jugeait capables de contribuer au Troisième Reich, les « amendables » ;

  • des autres, les « irrécupérables », qui étaient envoyés à la clinique de Spiegelgrund pour être euthanasiés.

Selon moi, cette information devrait à elle seule nous amener à reconsidérer l’usage du terme « Syndrome d’Asperger » et c'est d'ailleurs pour ça que je ne l'utilise pas dans mes conférences sur l'autisme

Evolution du syndrome d'Asperger dans les classifications

Le syndrome d’Asperger a fait son apparition dans la CIM et le DSM, les deux manuels de classification utilisés par les médecins pour poser les diagnostics, respectivement en 1990 et 1994. Dans les années 90, le syndrome d’Asperger est considéré comme différent de l’autisme. Les personnes dites « Asperger » ne présentent pas de retard de langage ni de déficience intellectuelle. Les recherches menées auparavant portaient sur des participant.e.s ayant une déficience intellectuelle et/ou des troubles du langage. Cette nouvelle catégorie entraîne un changement d’orientation radical. Les chercheurs.euses privilégient désormais les participant.e.s verbaux ayant un QI dans la moyenne ou au-dessus de la moyenne et négligent, de fait, toute une partie de la population autiste.  
En 2013, dans la version la plus récente du DSM, le syndrome d’Asperger disparaît au profit de l’appellation « Troubles du spectre de l’autisme ». En effet, des recherches ont remis en question l’utilité du diagnostic de « syndrome d’Asperger ». L’argument de ce changement est que le syndrome d’Asperger et les troubles autistiques sont des catégories trop poreuses entre elles pour assurer une validité diagnostique. 

Au-delà de cette validité diagnostique, un autre objectif avancé pour la redéfinition de l’autisme est la réduction du nombre de diagnostics alloués aux personnes présentant des signes légers. Il en résulte la réduction du coût des traitements, thérapies et services d’accompagnement. Cet argument est à mon sens problématique et doit nous alerter. Depuis cette redéfinition, les recherches démontrent que 50 à 75 % des personnes qui remplissaient les critères du syndrome d’Asperger dans le DSM-IV ne remplissent pas les critères des Troubles du spectre de l’autisme dans le DSM-5. Sans diagnostics, ce sont donc 25 à 50 % de personnes qui risquent de ne pas recevoir les réponses et le soutien dont elles ont besoin. 

Syndrome d'Asperger et identité

Alors que la société est autismophobe et perçoit l’autisme comme un handicap lourd, le syndrome d’Asperger charrie une image plus positive. Les personnes Asperger obtiennent plus facilement le privilège d’être jugées bizarres, mais non moins sympathiques. 

Un des arguments avancés pour le maintien du syndrome d’Asperger en tant que diagnostic à part entière a fort à voir avec cette perception positive. 

Comment les personnes concernées, qui se sont identifiées à cette image, ont-elles vécu la disparition du syndrome d’Asperger ? 
Les réactions sont très variables :

  • certain‧e‧s sont favorables à ce changement : il pourrait favoriser une unité et un sentiment d’appartenance plus forts au sein de la communauté autiste et contribuer par ailleurs à la vision de l’autisme comme spectre ;
  • certain‧e‧s y sont opposé‧e‧s : ils craignent d’être victimes d’une plus grande stigmatisation. Ils affirment que l’autisme et le syndrome d’Asperger sont deux choses différentes et que de nombreuses personnes s’identifient au terme « Aspie » ;
  • d’autres ont une position ambivalente : ils utilisent les termes « autiste » ou « Asperger » sans préférence nette, et n’ont pas l’impression que ce changement de classification menace leur identité.

Ce bref tour d’horizon au sujet de l’histoire du syndrome d’Asperger apporte, je l’espère, des éléments de compréhension sur les controverses qui l’entourent et pourra aider chacun‧e à se positionner sur son usage.  

Julie Dachez

Qui suis-je pour parler de ce sujet ?

Conférencière, autrice et formatrice

Je suis l’autrice de La Différence invisible, une bande dessinée traduite en sept langues, Dans ta bulle !, un livre qui donne la parole aux premières personnes concernées et de L'autisme autrement, mon dernier ouvrage.

Depuis 2014, je propose des conférences sur l'autisme auprès de publics très variés : entreprises, établissements médicaux, écoles, universités…
Et en 2022, j’ai fondé Julie Academy, une plateforme de formation en ligne dédiée à l’autisme.

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Bibliographie

Asperger, H. (1944). Die « Autistischen Psychopathen » im Kindesalter. Archiv für Psychiatrie und Nervenkrankheiten, 117(1), 76‑136. https://doi.org/10.1007/BF01837709

Edelson, S. M. (2022). Evidence from Characteristics and Comorbidities Suggesting That Asperger Syndrome Is a Subtype of Autism Spectrum Disorder. Genes, 13(2), 274.



Hartwell, M., Keener, A., Coffey, S., Chesher, T., Torgerson, T., & Vassar, M. (2021). Brief Report : Public Awareness of Asperger Syndrome Following Greta Thunberg Appearances. Journal of Autism and Developmental Disorders, 51(6), 21042108. https://doi.org/10.1007/s10803-020-04651-9

Kanner, L. (1943). Autistic disturbances of affective contact. Nervous Child, 2, 217‑250.

Sheffer, E. (2018). Asperger’s Children : The Origins of Autism in Nazi Vienna. W. W. Norton & Company.

Smith, O., & Jones, S. C. (2020). ‘Coming Out’ with Autism : Identity in People with an Asperger’s Diagnosis After DSM-5. Journal of Autism and Developmental Disorders, 50(2), 592602. https://doi.org/10.1007/s10803-019-04294-5

Wing, L. (1981). Asperger’s syndrome : A clinical account. Psychological Medicine, 11(1), 115‑129.